Vulnérabilités : mieux vaut prévenir que guérir

La pratique habituelle des politiques publiques est de type curatif : une fois une vulnérabilité révélée, on essaie de la corriger.

La thèse des signataires de cette tribune rédigée dans le cadre des futurs Journées de l'UCLy des 12 et 13 mai, est que face aux vulnérabilités, il est possible et préférable d'adopter des pratiques préventives.

Les vulnérabilités sont nombreuses dans les sociétés contemporaines, et la France n’y échappe pas : pauvreté, exclusion et perte d’emploi ; vulnérabilité climatique et précarité énergétique ; problèmes de santé.

La pratique habituelle des politiques publiques est de type curatif : une fois une vulnérabilité révélée, les politiques essaient de mettre en œuvre ce qui est nécessaire pour la corriger. La thèse que nous défendons ici est la suivante : il serait nettement préférable, dans tous les cas de vulnérabilités cités plus haut, une pratique préventive, visant à éviter ex-ante l’apparition de vulnérabilités. Cette mise en œuvre de stratégies préventives est plus efficace et s’avère moins coûteuse pour les finances publiques que la pratique curative retenue aujourd’hui.

La prévention des vulnérabilités est donc largement préférable à l’effort de correction ex-post des vulnérabilités.

Éviter la pauvreté en France avec une politique préventive

En France, 9,4 millions de personnes vivent en-dessous du seuil de pauvreté (c’est-à-dire disposent d’un revenu inférieur à 60% du revenu médian), mais bien davantage se sentent menacées par la pauvreté. Par ailleurs, la France présente un niveau d’inégalités de revenus avant politiques redistributives (c’est-à-dire avant les transferts sociaux aux ménages modestes financés par la taxation) parmi les plus élevés de l’OCDE.

Pour lutter contre la pauvreté et les inégalités de revenus, les gouvernements successifs ont mis en place des politiques de soutien aux ménages modestes : RSA, Prime d’Activité, aides au logement, allocation de rentrée scolaire, garantie jeunes (devenue contrat d’engagement) ... Mais ce choix crée un cercle vicieux : le financement de ces politiques redistributives conduit à une pression fiscale élevée, en particulier sur les entreprises ; ce qui détruit de l’emploi et aggrave la pauvreté et les inégalités.

Une augmentation du taux d'emploi comme prévention des vulnérabilités

La politique préventive pourrait consister en la mise en place d’actions qui corrigent la pauvreté et les inégalités ex-ante, pour éviter qu’elles apparaissent. On peut avoir en particulier à l’esprit toutes les politiques qui favorisent l’emploi : formation ciblée sur les populations éloignées de l’emploi ou menacées de perte d’emploi, retour à l’emploi des jeunes et des salariés en difficulté.

On observe en effet une corrélation extrêmement forte entre le taux d’emploi (la proportion des personnes en âge de travailler qui ont un emploi) et les inégalités de revenu avant redistribution. Faire progresser le taux d’emploi (qui est très faible en France, 67% contre 75% en Allemagne) serait la manière la plus efficace de lutter contre la pauvreté et les inégalités. D’autre part, il vaudrait mieux stabiliser les prix de l’immobilier par une politique de soutien à la construction, que de laisser survenir une précarité provenant du niveau très élevé du coût du logement (les Français consacrent 23% de leur revenu à se loger, mais cette proportion monte à près de 40% pour les ménages modestes) et que d’essayer de la corriger par des aides publiques.

Vulnérabilités climatiques : anticiper les effets de la transition énergétique

Consommation plus faible et prix de l’énergie plus élevés entraîneront une hausse des inégalités, ces évolutions affectant surtout les ménages modestes

Dans un deuxième domaine, celui du climat, le choix entre politiques ex-ante (limitation de la hausse de la température par l’arrêt des émissions de CO2) et politique ex-post d’adaptation au changement climatique (constructions conçues pour protéger des températures élevées, changement des techniques agricoles, protection des régions en bord de mer) est très important. Ces deux politiques doivent être menées en parallèle.

Il importe également d’anticiper les effets de ces politiques. Si on se concentre sur l’arrêt des émissions de CO2, il faudra bien analyser les conséquences économiques et sociales de la transition énergétique plutôt que de les découvrir tardivement. On sait en particulier que la transition énergétique va nécessiter un considérable effort d’investissement (plus de 4 points de PIB d’investissement supplémentaire chaque année pendant 30 ans), donc un effort d’épargne, c’est-à-dire de réduction de la consommation. La réduction conduira encore à une hausse très importante des prix de l’énergie, en raison de leurs coûts de stockage du fait de l’intermittence des énergies renouvelables.

Consommation plus faible et prix de l’énergie plus élevés entraîneront une hausse des inégalités, ces évolutions affectant surtout les ménages modestes : le développement du télétravail et des mobilités collectives doit être accéléré, comme facteurs de résorption des inégalités. 

Santé : une politique de prévention défaillante en France

Le troisième domaine auquel on pense immédiatement, lorsqu’ on réfléchit aux politiques préventives, concerne celui de la santé. La prévention en la matière regroupe la lutte contre les épidémies, la surveillance de l’état de santé de la population, le dépistage, la nutrition, l’hygiène de vie, l’identification des risques sanitaires (comportement, environnement, travail...), etc.

Les études disponibles montrent la faible efficacité des politiques de dépistage (cancers, diabète, maladies cardio-vasculaires) en France par rapport à d’autres pays de l’OCDE (pays d’Europe du Nord par exemple), avec une faible participation de la population au dépistage. La France ne se classe qu’au 12ème rang des pays européens pour l’espérance de vie sans incapacité, ce qui révèle la faiblesse des politiques de prévention. 

Vers la prévention des vulnérabilités plutôt que la correction des vulnérabilités

Les trois exemples retenus (pauvreté et inégalités, climat, santé) montrent la supériorité des politiques de prévention (et dans le cas du climat des politiques d’anticipation) sur les politiques de réaction aux problèmes une fois qu’ils sont apparus. La prévention des vulnérabilités est donc largement préférable à l’effort de correction ex-post des vulnérabilités. Il est grand temps de s’y engager en développant, à cette fin, une approche systémique.

Les Journées de l’UCLy qui se dérouleront les 12 et 13 mai à l’Université Catholique de Lyon, et qui sont consacrées aux vulnérabilités, aborderont plus particulièrement trois des sujets évoqués dans cet article : la situation économique, la protection sociale, et les effets de la vulnérabilité climatique.

Patrick Artus, Elisabeth Ayrault, Guy Sidos, Georges Képénékian, Valérie Aubourg, Chiara Pesaresi, Emmanuel Vivier, Olivier Artus

Tribune publiée le 12 avril 2022 dans Les Echos logo les echos