Philippe Guérand : « Les entreprises savent surtout agir face aux vulnérabilités »

Le président de la CCI de région Auvergne-Rhône-Alpes et dirigeant de SIER Constructeur à Bron participera à la première table ronde « Vulnérabilités et économie : comment les identifier, les traiter ? ». Il dresse le portrait de l'après-crise sanitaire pour les entreprises de la région. Il nous livre également quelques pistes de réflexion sur les moyens à mettre en place pour pallier les vulnérabilités économiques, tant à l’échelle régionale que nationale.

Quelles vulnérabilités économiques sont identifiables en Auvergne-Rhône-Alpes ?

Avant de parler vulnérabilités, il faut sans doute évoquer les formidables atouts d’Auvergne-Rhône-Alpes, 2e région économique de France, et la 1ère région industrielle. Le poids économique de notre région dépasse celui de la Finlande ! Ainsi nous bénéficions d’un tissu d’entreprises très dense qui a conservé un socle industriel, d’une diversité d’activités, de capacités de recherche et d’innovation et surtout, d’entrepreneurs engagés. Lors de la crise Covid, avec l’appui des aides de l'État et de la Région, notre tissu d’entreprises s’est ainsi montré particulièrement résilient. Dès le 2e trimestre 2021, il retrouvait et dépassait son niveau d’emploi salarié d’avant crise.

Les CCI d’Auvergne-Rhône-Alpes, désignées par l’État comme interlocuteurs de 1er niveau des entreprises dans la crise Covid, se sont naturellement mobilisées pour accompagner et favoriser ce rebond de l’économie régionale. Ainsi, nous avons accompagné 140 000 entreprises pendant la crise sanitaire, puis nous leur avons fait connaître les dispositifs de soutien du plan France Relance.

Pour ce qui est des vulnérabilités, la région forte d’un socle industriel est intégrée à des chaînes de valeur internationales, et cela peut poser des problèmes pour certains approvisionnements clés en période de crise quand ils sont interrompus ou ralentis.

Par ailleurs, parmi nos entreprises, certaines consomment beaucoup d’énergie pour leur processus de production. Un choc énergétique comme celui qui a suivi l’invasion de l’Ukraine peut impacter fortement leur modèle économique.

Auvergne-Rhône-Alpes est une région largement ouverte sur l’international, les crises ou les guerres peuvent aussi impacter fortement certaines entreprises. On le voit avec la guerre en Ukraine : si la Russie est le débouché de seulement 1,2 % des exportations régionales et l’Ukraine de 0,2 %, pour certaines entreprises, la dépendance à l’égard de ces marchés peut être beaucoup plus forte.

Comment selon vous, les entreprises de la région peuvent contribuer à faire avancer la réflexion sur les vulnérabilités ?

Je dirais que les entreprises savent surtout agir face à ces vulnérabilités et que les entrepreneurs s’adaptent constamment. Quand une situation de crise survient ou qu’une mutation profonde apparaît, les entreprises doivent bien sûr analyser les conséquences pour leurs chaînes de valeur et elles diversifient par exemple sans tarder leurs approvisionnements quand elles font face à des blocages. Les choses sont bien sûr plus complexes quand il n’y a que quelques fournisseurs dans le monde.

Quels seraient les axes de travail à mettre en œuvre pour pallier les vulnérabilités économiques sur le plan national et régional ?

Ce qui a été entrepris au moment de la crise sanitaire au niveau de l’Union européenne et des États membres, à savoir une réflexion d’ensemble sur l’autonomie stratégique de l’Europe pour réduire les dépendances économiques à l’égard de certains fournisseurs, est une bonne approche. Il en va de même avec le plan de relocalisation industrielle de la Région, auquel les CCI sont associées. À partir du diagnostic de la nouvelle situation économique résultant des crises, il s’agit de voir comment on peut aider à restructurer les chaînes de valeur et à développer la production dans nos territoires.

La réindustrialisation est l’un des grands défis de notre économie régionale, tout comme la décarbonation et l’appropriation par toutes nos TPE-PME de la transformation numérique. Les CCI prennent toute leur part de ces défis majeurs. L’ADN de notre réseau repose sur le collectif fort et le travail en équipe avec les services de l’État et en partenariat privilégié avec la Région, ce qui facilite l’investissement, la prise de risques, et la création de richesses et d’emplois.

Lors de la crise sanitaire, l’État a joué un rôle protecteur avec les entreprises, il le fait encore aujourd’hui en compensant la hausse du prix de l’énergie. Pensez-vous qu’il faille renouveler ce type d’initiatives sur du plus long terme ?

Le soutien massif de l’État a été salutaire car cela a permis aux entreprises de tenir face au choc économique de la crise sanitaire. Nous avons vu ainsi que l’économie a pu repartir très fort. C’est un peu la même logique aujourd’hui avec le choc énergétique accentué par la guerre en Ukraine.

Mais une telle action publique de soutien ne peut bien sûr pas durer trop longtemps car il faut toujours financer cette dépense publique. Et nous savons que cela veut dire, soit une fiscalité en hausse à terme, ce qui n’est pas possible pour notre compétitivité économique, soit plus de dettes, et nous sommes déjà à un niveau très élevé. Soyons conscients que l’endettement excessif, c’est aussi une vulnérabilité, avec le risque de remontée des taux. Nous devons aussi avoir le souci des générations futures.

Pour ce qui est du prix de l’énergie, cela pousse surtout à ce que des choix stratégiques soient faits pour que nous soyons le moins dépendant possible d’approvisionnements extérieurs et pour que les coûts énergétiques soient compatibles avec les modèles économiques. La France dispose ainsi de l’atout de sa production nucléaire d’électricité et il faut aussi soutenir le développement de toutes les énergies alternatives au gaz et au pétrole.

Pensez-vous que les Français fassent confiance aux entreprises pour contribuer à prendre en charge les vulnérabilités de notre société ?

Je pense que les Français ont constaté combien les entreprises ont fait preuve de résilience et de capacité de rebond au moment de la crise sanitaire. Ils savent aussi combien les capacités d’innovation des entreprises permettent de trouver des solutions nouvelles aux difficultés que nous rencontrons.

Et d’un point de vue plus citoyen, l’entreprise ne peut plus se contenter d’être un lieu de production. Elle doit s’engager dans la préservation des équilibres fondamentaux de notre société en intervenant dans les champs de la santé, de la culture, de l'éducation, de la solidarité ou la préservation de l’environnement. Les sujets sont tellement nombreux et lourds que la puissance publique ne peut plus les résoudre à elle seule. Les mondes économique, politiques et administratifs doivent agir de concert pour affronter les grands défis de notre avenir collectif.

Les Vulnérabilités, au cœur de la réflexion de l’UCLy

La question des vulnérabilités a conduit à la création d’une Chaire d’Université dédiée à ce thème, permettant à la fois de le préciser par un travail de recherche, et d’en explorer les aspects sociétaux, en mettant en relation, dans le cadre de la chaire, des universitaires, des entrepreneurs, des acteurs économiques et sociaux, et des acteurs ecclésiaux.