Conclusion des Journées de l’UCLy par le Père et Professeur François Lestang
Vendredi 13 mai 2022
mis à jour le 6 septembre 2022
Les Journées de l'UCLy
Tous vulnérables ? Après ces échanges, marqués par l'expertise des intervenants, et la première conclusion de Chiara Pesaresi, comment ne pas reprendre cette affirmation, "tous vulnérables". Le Recteur Olivier Artus nous rappelait que l'enjeu de notre approche n'est pas que curatif, mais qu'il est aussi existentiel, car les questions d'amour et de mort nous concernent toutes et tous. Nous le savons, nos civilisations et nous-même sommes mortels, même si nous l'affirmons plus volontiers de nos pays ou dispositions sociales que de nous-même, selon le sondage Odoxa.
Un homme descendait de Jérusalem à Jéricho…
Aussi, et puisque je suis spécialiste de la Bible, j'aimerais commenter une vieille histoire, prise dans le Nouveau Testament, histoire qui est racontée par Jésus.
Jésus reprit la parole : « Un homme descendait de Jérusalem à Jéricho, et il tomba sur des bandits ; ceux-ci, après l’avoir dépouillé et roué de coups, s’en allèrent, le laissant à moitié mort. Par hasard, un prêtre descendait par ce chemin ; il le vit et passa de l’autre côté. De même un lévite arriva à cet endroit ; il le vit et passa de l’autre côté. Mais un Samaritain, qui était en route, arriva près de lui ; il le vit et fut saisi de compassion. Il s’approcha, et pansa ses blessures en y versant de l’huile et du vin ; puis il le chargea sur sa propre monture, le conduisit dans une auberge et prit soin de lui. Le lendemain, il sortit deux pièces d’argent, et les donna à l’aubergiste, en lui disant : “Prends soin de lui ; tout ce que tu auras dépensé en plus, je te le rendrai quand je repasserai.” Lequel des trois, à ton avis, a été le prochain de l’homme tombé aux mains des bandits ? » Il répondit : C'est celui qui a montré de la compassion envers lui. Jésus lui dit : Va, et toi aussi, fais de même. »
Quel âge a cet homme ? Rien n'en est dit. On a vu que les vulnérabilités nous touchent tous, que l'on soit vieux ou, et c'est peut-être une nouveauté, jeunes. Nous avons pu en effet mieux mesurer que les jeunes sont particulièrement vulnérables, que ce soit du point de vue économique, alimentaire ou sanitaire.
« Les bandits » d’aujourd’hui peuvent avoir différents noms. On a mentionné les aléas climatiques, le marché de l'emploi, les soupçons de fraude, la volonté de vérifier, qui empêche que l'on accueille l'urgence, par méfiance. Plusieurs de nos intervenants ont rappelé l'importance de cette confiance à donner, que ce soit dans le prix d'un repas (Cf les Petites Cantines) ou dans le choix d'un logement social.
L'homme tombé dans les mains des bandits, s'il est sous mes yeux, qu'en faire ? La question de la séparation, de la ségrégation, des fameux "invisibles" a été évoquée. Pour le prêtre comme pour le lévite, le blessé, ce vulnérable, il ne faut pas s'en approcher.
Par opposition, c'est l'étranger, le Samaritain qui est ému, et qui ose s'arrêter. Il ne se contente pas d'émotion, ce qui est un risque contemporain, mais il agit. Le sous-titre des Journées de l’UCLy était justement "comprendre pour agir". Le samaritain soigne, en versant de l'huile et du vin ; c'est la dimension curative.
Faire route avec la personne vulnérable
De plus il fait route avec lui, il l'emmène dans une auberge, où il sera accueilli. Face à la vulnérabilité, il s'agit de faire route ensemble, de faire communauté. L'importance du local pour soigner, pour accueillir les vulnérabilités, y compris écologiques, a été soulignée bien des fois au long de notre journée.
Quant à la dimension existentielle, elle est probablement dans l'appel lancé par Jésus à « se faire le prochain", comme il s’est fait le prochain lui-même. Se laisser affecter, se laisser émouvoir, et s'engager, alors même que c'est coûteux. Mais il s'agit de valeur, et pas de prix. Comme le rappelait la cofondatrice des Petites Cantines, "aujourd'hui on donne un prix à tout, mais de la valeur à pas grand-chose". Or cette attention engagée à l'autre, quelle que soit sa vulnérabilité, fait partie de ce qui constitue l'honneur des êtres humains.
Cependant, dans la parabole, la voix du vulnérable n'est pas entendue ; seul son corps blessé fait signe… Or, un des éléments essentiels à retenir de cette première édition dédiée aux vulnérabilités concerne la parole des personnes vulnérables, dont beaucoup d'interventions ont souligné l'immense valeur. Il me semble que le chemin d'écoute, de parole et de discernement dans lequel le pape François engage l'église catholique ces temps-ci, ce que l'on appelle la démarche synodale, rejoint cette phrase du père Joseph Wresinski, fondateur d'ATD Quart Monde : "les pauvres sont nos maîtres".
Avoir confiance en la parole des personnes en situation de vulnérabilité
En l'adaptant à la question plus large de la vulnérabilité, pourquoi ne pas reformuler cela en affirmant une confiance dans la parole des personnes en situation de vulnérabilité… Pourquoi ne pas quitter notre position de « savants », de « sachants », pour entrer dans une nouvelle manière de nous former, à l'écoute les uns des autres, dans l'affirmation de la dignité de ces personnes. On a vu hier soir comme aujourd'hui toute l'importance de l’éducation, tant initiale que tout au long de la vie.
En conclusion, il me semble que la mission d'une Chaire universitaire comme la nôtre est précisément cela : construire un lieu pour écouter la parole des personnes vulnérables, c'est à dire potentiellement chacune et chacun d'entre nous et, ayant écouté cette parole, comprendre ce qui nous est dit là, et discerner pour agir ensemble, dans cette auberge commune.